Noirs et Blancs, série
Une mise en vue de Karl Kugel, pour le roman Noirs et Blanc, esquisses de Bourbon, de Gustave Oelsner-Monmerqué (1814-1854).
Cette année, le musée historique de Villèle fait entrer dans ses collections 25 tirages originaux de Karl Kugel, issus de son travail réalisé pour l'édition française illustrée de Noirs et Blancs. Esquisses de Bourbon (coédition Musée de Villèle, Université de La Réunion, 2017).
Abolitionniste convaincu, observateur attentif de la société créole qu’il découvre à Bourbon de 1842 à 1845, Gustave Oelsner-Monmerqué (1814-1854), auteur franco-allemand, nous laisse un roman où se mêle à la fiction narrative, la réalité d’une époque marquée par la question de l’esclavage. Si le récit met en scène en effet la dramatique histoire de Vénus et Jupiter, de leur exil forcé de Zanzibar à l’île Bourbon, le texte nous livre également une description réaliste de la société créole, quelques années avant l’abolition de 1848, et du contexte géographique dans lequel elle s’est développée.
Karl Kugel a accepté d’aller entre les lignes et entre les mots de l’ouvrage pour relever le défi de mettre en images cette double lecture du roman. Il nous donne à voir, à la fois des documents iconographiques anciens qu'il s’approprie et interprète, et des clichés contemporains dont la portée métaphorique nous renvoie au parcours personnel de l’artiste et au regard qu’il porte sur La Réunion dans son contexte indiaocéanique et plus particulièrement, dans ses liens avec l’Afrique.
Karl Kugel, Série Noirs et Blancs, 2023
25 tirages en digigraphie avec rehaut de couleur
80 x 60 cm
© 2023, Karl Kugel
Oelsner-Monmerqué raconte l'histoire de deux jeunes Africains - Vénus et Jupiter - vendus comme esclaves et déportés vers l'île Bourbon. En arrière-plan de cet itinéraire, dont le dénouement est tragique, l'auteur propose un regard sans concession sur la traite et les rapports sociaux à Bourbon au début du 19ème siècle. Cette description précise - marquée par les préjugés de son époque - peut s'apparenter au travail de l'anthropologue qui met en lumière les logiques des différentes strates d'un espace social - l'économie d'un territoire, la psychologie des acteurs, le spirituel et le religieux, la géographie des lieux.
La piste que j'ai suivie est liée à mon premier métier - la photographie - et à ce qui me semble être la particularité la plus forte de ce médium : une 'fausse transparence' dans laquelle se fondent « fonction documentaire » et "dimension fictionnelle".
Ainsi, j'ai travaillé des images réalisées à La Réunion et en Afrique noire (notamment au Mozambique), de nouvelles photographies créées pour l'ouvrage, et des reproductions de documents historiques anciens.
Afin de m'éloigner du document d'illustration sans rien perdre des réalités décrites, les tirages ont été rehaussés au crayon gras, au charbon ou à la mine de plomb. Chaque épreuve est marquée de pointes et traits au pastel rouge, comme les signes du drame qui couve, en référence au tissu rouge qu'évoque l'historienne mozambicaine Benigna Zimba dans The slave routes and oral tradition in Southeastern Africa et qui couvrait les visages des esclaves lors de leur marche forcée vers la côte où ils étaient vendus.
Karl Kugel
C'est dans ce même esprit de "fiction documentaire » que s'est construite en écho à la première édition illustrée du roman, la mise en vue de l’exposition Entre les lignes de Noirs et Blancs créée pour le musée historique de Villèle en 2017.