Collections thématiques | L'esclavage

L’esclavage se développe à La Réunion comme dans tout l’océan Indien, route du café et des épices, dès le début du XVIIIe siècle. Domestiques à la ville ou Noirs de pioche dans les habitations, les esclaves sont une forte composante de la population bourbonnaise qui en 1815 en compte 49 369 pour 18 940 individus libres. Comme dans les autres grandes plantations de l’île, un nombre élevé d’esclaves - 295 déclarés dans le testament de Madame Desbassayns - travaillent sur l’habitation Panon-Desbassayns à Saint-Gilles. Cette main d’œuvre servile permettra notamment l’essor de la nouvelle usine à sucre de l’habitation conçue dès son ouverture en 1827 comme un exemple de modernité.

Jusqu’en 1848 la vie des esclaves à Bourbon est organisée par les Lettres de patentes en forme d'édit concernant les esclaves nègres des Isles de France et de Bourbon, Code noir antillais promulgué par Louis XIV en 1685, refondu en 1723 et enregistré à Saint-Paul le 18 septembre 1724. L’esclave y est considéré comme « bien meuble » pouvant être acheté, vendu, donné, loué ou saisi au bon vouloir de son maître. Coupé de sa culture d’origine et privé de ses droits juridiques, il ne possède rien et devient la propriété de son maître qui contrôle ses faits et gestes, soumis à  l’organisation de l’habitation dans laquelle il vit et travaille. Le châtiment par le fouet est de mise et si les unions sont tolérées, la condition d’esclave se transmet aux enfants de ces unions par la mère…

À la veille de l’ouverture de la sucrerie sur l’habitation Desbassayns, quelques 62 000 esclaves sont recensés sur l’île. Il faut ajouter à ces chiffes, les esclaves clandestins débarqués principalement de Madagascar et de la Côte Est d’Afrique. En 1827, date d’ouverture de l’usine à sucre, la traite des Noirs est en effet interdite depuis vingt ans par l’Angleterre pour ses colonies et depuis dix ans par la France. Même si une traite clandestine continue d’approvisionner la colonie de quelque 45 000 esclaves entre 1817 et 1848, les fortes mesures répressives du gouvernement de Louis-Philippe rendent la traite clandestine très périlleuse à partir de 1831 puis quasiment impossible à partir de 1840. La diminution de la main d’œuvre au moment où l’industrie sucrière prend son envol, rend le travail de plus en plus rude.

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Zanzibar, comptoir musulman, était un centre important de la traite négrière de la côte orientale de l'Afrique. Il devient une source importante d'esclaves pour Bourbon à partir de l'an X du calendrier républicain (1802), après le rétablissement de l'esclavage dans les colonies françaises par Bonaparte.

Inv. 2018.2.26
Côte Est d'Afrique, commerce des esclaves à Zanzibar
Lechard, d'après un dessin de Hemy, XIXe siècle.
Gravure au burin H. 13 x L. 18 cm (image)

Ces perles de verre trouvées dans l'océan Indien au large de l'île Maurice, marchandises de traite, faisaient l'objet de troc contre les Noirs captifs.

Cependant, les fournisseurs se détournent vite de ces articles de pacotille pour exiger des barres de métal utilisées pour forger des armes et des outils, des tissus indiens ou encore de l'alcool. Le fusil de traite, fusil à long canon et platine à silex, est aussi objet de troc le plus souvent réclamé par les chasseurs d'esclaves, pouvant ainsi fournir plus de captifs.

Inv. 1998.4.1 à 14
Perles de traite
Verre, dimensions variables


Inv. 1998.5.1

Maquette de bateau, L'Aurore, négrier de 1784
Bois et coton
H. 101,5; L. 133,5; Larg. 29 cm

Ce modèle de négrier a été réalisé à partir d'une riche documentation constituée de textes, croquis et plans plus ou moins élaborés provenant du fonds d'un ingénieur constructeur rochelais, Hubert Penvert, décédé à Angoulême en 1827. Ces archives ont fait l'objet d'un important travail de recherche mené par Jean Boudriot aux archives du port de Rochefort et publié en 1984.

Projeté en 1784, le navire jaugeait 280 tonneaux et mesurait 100 pieds de long sur 26 de large. Il était destiné à la côte d'Angola, possession portugaise et plaque tournante pour la traite.
Il faut noter que dans La Route des îles, contribution à l'histoire maritime des Mascareignes, Auguste Toussaint a relevé le nom d'Aurore - une embarcation française de 250 tonneaux ayant fait deux voyages en 1786 - dans la liste des deux cent soixante et un navires et voyages enregistrés à l'île de France entre 1773 et 1809. Jean-Michel Filliot, pour sa part, signale un navire nommé Aurore, arrivé à l'île de France à la fin du mois de juin 1789, après avoir fait un séjour à Cadix.

L'Aurore pouvait transporter entre six cents et six cent cinquante esclaves ainsi qu'un effectif de quarante à quarante-cinq hommes. Les esclaves occupaient le faux pont, équipé pour l'occasion d'un échafaud escamotable. Ce niveau intermédiaire, réalisé à partir de planches disposées transversalement, pouvait contenir cent vingt individus (quatre-vingts enfants et quarante adultes).
Selon Boudriot, chacun des esclaves couchés sur le côté, placés tête-bêche, disposait ainsi d'un espace vital d'un tiers de mètre carré.

L’esclavage au temps de l’abolition devient aussi une source d’inspiration pour certains artistes français qui leur permet d’affirmer leurs convictions propres ou de mettre en scène des représentations issues de leur imagination et, pour certains, de créer des œuvres sublimant leurs fantasmes.

À cet égard, la sculpture de Jean-Baptiste Carpeaux Pourquoi naître esclave acquise en 1992 et le bronze aux deux patines d’Edmond Louis Levêque Les deux esclaves acquis l’année suivante sont deux pièces admirables qui s’inscrivent dans ce courant artistique.

Collections thématiques | L'engagisme

  

L’engagement des travailleurs libres sous contrat, indiens, africains, chinois puis, par la suite, comoriens, malgaches, océaniens et rodriguais…, va tenter de pallier au manque de main d’œuvre dès la première moitié du XIXe siècle, même s’il est difficile d’organiser le travail des esclaves et des travailleurs libres sur la même habitation. Après l’abolition de l’esclavage en 1848, ce recours se généralise pour atteindre en 1860 un volume d'engagés supérieur au nombre d’esclaves libérés en 1848 avec 37 777 travailleurs indiens, 26748 africains et 423 chinois. Mais ce système connaît plusieurs interdictions durant le XIXe siècle en raison du mauvais traitement des travailleurs engagés et du non-respect des contrats. Le recrutement des engagés indiens finit par être définitivement suspendu en 1882. 

Les données réunies et analysées par les historiens mettent en évidence la supercherie des méthodes de recrutement employées jusqu’à la fin du XIXe siècle. Sur les côtes d’Afrique et de Madagascar les engagés sont en réalité des hommes capturés et revendus par des marchands arabes aux recruteurs réunionnais qui les libèrent avant de les engager. La terreur reste le moteur de ce système. Si l’espoir d’une vie meilleure est le principal motif du départ de ceux qu’on appelle les coolies, ou travailleurs engagés indiens, enlèvements et tromperie sont là encore d’usage pour les convoyer vers La Réunion dans des conditions proches de l’esclavage.

Avant l’abolition, ces ouvriers travaillent généralement à côté des esclaves, dans des conditions tout aussi difficiles. Le procureur du Roi, dans un rapport adressé au Ministère de la Marine et des Colonies,  écrit : «  peu d’habitants ont compris la position de ces travailleurs libres. Presque partout, on les traite comme des esclaves de l’habitation. » Comme l’esclave, l’engagé reste la propriété de l’engagiste par l’intermédiaire de son contrat. Le châtiment corporel reste de mise et les salaires, bien souvent ne sont pas payés. On comprend alors que le principe du marronnage – fuite des esclaves pour se soustraire à leurs conditions serviles -    reste un marqueur du système de l’engagisme.

Cette lithographie illustre deux catégories sociales d'indiens : au premier plan, des engagés nouvellement arrivés à La Réunion témoignent d'une grande pauvreté tandis qu'est mis en valeur la réussite sociale éclatante du couple indien situé en arrière-plan.

En effet, au bout de cinq années de contrat, les engagés indiens, s'ils le désirent et sous certaines conditions, sont autorisés à rester sur le territoire et peuvent ainsi prétendre à une vie meilleure.

Cette ascension sociale doit pourtant être modérée au regard des faits de marronnage relatés dans la presse locale de l'époque. Sudel Fuma qui étudie la question dans son ouvrage L'esclavagisme à La Réunion 1794-1848, résume les faits en ces termes : "[...] moins de deux ans après leur arrivée dans la Colonie, la plupart des travailleurs indiens abandonnent leurs propriétaires engagistes et préfèrent vivre de vagabondage que de subir la discipline des grandes habitations".

Inv. 1998.8.9.2
Types des immigrants indiensAlbum de La Réunion
Imprimerie lithographique Antoine Roussin, 1863
Lithographie
H. 30,5 x L. 22 cm


Inv. 1990.125

Fête des travailleurs indiensAlbum de La Réunion
Paul Eugène Rouhette de Monforand et Antoine Roussin, 2eme moitié du XIXe siècle
Lithographie à deux teintes
H. 23 x L. 31 cm

Dès 1830, au moment où se développe une intense activité sucrière nécessitant le recours à une main-d'œuvre de plus en plus nombreuse, le gouvernement de Louis-Philippe condamne sévèrement la traite des Noirs et préconise une politique en faveur de l'émancipation des esclaves.

Dès lors l'engagisme va être porteur d'espoir. Il deviendra une nécessité après l'abolition de 1848 pour tous les colons sucriers. Conscient du problème d'identité culturelle que posait l'introduction des Indiens à Bourbon, le ministre de la Marine et des Colonies, dans une lettre datée de novembre 1830, recommande " qu'une grande latitude soit laissée à ces étrangers qui doivent pouvoir pratiquer leurs coutumes quant aux inhumations et aux successions ". (cf. Sudel Fuma, L'esclavagisme à La Réunion, 1794-1848, Paris, 1992).

Sur cette lithographie, la célébration d'une fête religieuse indienne est l'occasion d'une petite manifestation réglementée, permettant ainsi aux engagés de ne pas rompre totalement avec leurs traditions culturelles. La procession, annoncée par un groupe de musiciens, attire le regard curieux et peut-être apeuré d'une famille - où l'on reconnaît aisément la " nénène " portant le petit dernier - qui contemple le spectacle depuis un guétali campé sur les hauteurs des murs de clôture d'une propriété bourgeoise, au baro (portail) impressionnant.