Johanna Grégoire | Résidence "Patrimoine et création" 2021 au musée de Villèle
BAGASS! valoriser le résidu
Première étape
Entre archives et fictions, Johanna Grégoire, 2021
Collage numérique
Documents d'archives
Fonds Jean Legros
Contexte
À l’ère du low tech et de toutes les questions que cela peut poser aux artistes, designers, architectes, on peut considérer que les résidus de production agricoles méritent d’être intégrés à de nouveaux usages.
Bagass! s’inscrit dans le contexte géographique du quartier de Villèle, au cœur de la propriété de Madame Desbassayns à La Réunion. Le Musée de Villèle est le rare témoin d’un passé dont les traces sont aujourd’hui ténues. Ce type d’habitation faisait socle dans une société dont le modèle n’a cessé d’évoluer jusqu’à présent, laissant en héritage à La Réunion, la canne à sucre
En continuité entre ce passé si proche et le monde moderne industrialisé, les questions liées à la production manufacturée et au processus de valorisation sont ici abordées par le prisme du design. La bagasse - partie résiduelle de la canne à sucre après extraction du jus - devient une matière à travailler. Par un processus de collecte, de transformation et de valorisation inscrit dans le tissu local, Bagass! veut transformer un déchet agricole en une ressource.
Johanna Grégoire
Transmissions
"En immersion pendant plusieurs semaines au sein du collège Célimène Gaudieux à La Saline, mon intervention consistait à transmettre l’acte créatif via la valorisation du déchet aux jeunes élèves. Il s’agissait d’installer un temps de partage pour explorer la notion du “faire soi-même” et de l’autoproduction en manipulant un résidu local : la bagasse.
Pour ce projet nous nous sommes intéressés à la production d’un objet dans un territoire imaginaire et utopique. Dans le cadre du concours d’embellissement de leur cour auquel ils participent, les collégiens réfléchissent à la notion du « jardin zen ». C’est l’endroit du ralentissement, du calme et de la méditation. À l’aide de moyens de fabrication artisanaux, nous avons créé un “arbre de vie” lieu de rassemblement à l’ombre duquel on discute de tout.
Nous menons durant dix séances une série d’expérimentations autour de ce résidu que nous séchons, mélangeons, colorons, compressons. Ces considérations nous mènent à réfléchir collectivement à des propositions formelles et nous permettent de dégager des problématiques liées à la résistance des matériaux : l’inclusion de bagasse dans la résine résiste aux différentes conditions climatiques et nous invite à observer les fibres de la canne.
En tant que designer et au moyen d’une démarche d’upcycling, j’ai abordé avec les élèves, de manière simple et créative, ces thèmes citoyens que sont l’écologie et l’économie circulaire, comme une solution aux difficultés induites par le contexte insulaire."
"Produire de l'ombre,
utiliser de la bagasse,
rendre visible le déchet...
L'objet collectif produit
est le reflet d'une multitude
d'identités rassemblées
autour d'un projet commun."
Fictions
Collage numérique, Johanna Grégoire 2021
Fonds Jean Legros
Iconothèque de l'Océan Indien
En trouvant le chemin du volcan, en domptant la vanille, en hissant son nom du « battant des lames au sommet des montagnes », l’esclave a fait La Réunion sienne. Ces gens que d’autres ont fait meubles ont insufflé une âme à la terre Bourbon. Dans les champs de canne, dans les cales des navires, dans les habitations qu’ils servaient, ils n’ont pu espérer une telle éternité.
Le soir est tombé. Il est six heures, pas tout à fait l’heure du dîner. Sous le ciel figé du crépuscule, les masses sombres d’hommes et de femmes se distinguent. Une ombre mouvante se déplace le long des filaos, une autre remonte le chemin de terre qui serpente entre les champs de cannes en fleur. Plus bas, les silhouettes de quelques femmes recroquevillées sur elles-mêmes transpercent la fumée.
Au centre de la scène, une cuisine mobile se dessine. Une vieille femme courbée marche en sa direction, un lampion à la main. Elle porte sur son dos un bertel rempli de petits bols en terre cuite. Une faible lumière projetée sur le meuble laisse apparaître un plateau massif posé sur deux pieds et une roue rustique. La cuisine semble ancrée dans le sol. Posés sur le plateau en bois de tamarin, un four en terre cuite encore fumant, une corbeille émaillée remplie de mangues, bananes et corossols, un lave-main plein d’eau. La vieille femme pose le lampion sur la cuisine coiffée de brins dorés. Rejoint par les autres, ils s’assoient, las, au sol. Le silence installé est brisé par le grincement des poteries. La lueur du foyer éclaire à peine la scène, le repas commence.
Johanna Grégoire
Valorisations
"Le testament de Madame Desbassayns
stipule une cuisine pour les noirs.
Elle n’a pas été localisée...
Voci l'occasion d’amener le design
là où on ne l’attend pas."
Bourette, cuisine mobile, Johanna Grégoire, 2021
Plan modélisé
"Après avoir glané la bagasse, j’ai rapidement voulu éprouver la matière par la manipulation. L’objectif est de transformer ce rebus en valorisant les gestes d’un savoir-faire local.
J’ai tout d’abord fait mes premières rencontres avec les
terres à l’atelier BMA, l’atelier de poterie de Maryline, niché dans la lumière de Salazie. Puis Richard et Isabelle m’ont accueilli dans les brumes du Domaine des Tourelles à La Plaine des palmistes.
Les premiers essais
d’empreintes de bagasse sur terre cuisent à 1200°C dans l’atelier la Fournaise.
En parallèle Michael, souffleur de verre, parvient à mémoriser l’empreinte de la bagasse sur de petites plaques de verre.
Enfin, Nicolas, ébéniste,
façonne la cuisine mobile dans du tamarin des hauts. Dans son atelier, nous réalisons les moules qui serviront à produire les tuiles de bagasse pour la toiture de la cuisine."
Merci
Aux acteurs de ce programme en commençant par le Département de La Réunion, le musée de Villèle et son équipe éducative ainsi que les élèves et enseignants du collège Célimène Gaudieux.
Merci aux acteurs de l’artisanat réunionnais qui m’ont tant appris : Isabelle et Richard potiers à la Plaine des Palmistes, Nicolas ébéniste à la Ligne des Bambous, Maryline potière à Salazie, Michael souffleur de verre à l’Hermitage, Nicole et Gilbert fabricants de papier au Maïdo, Laurent photographe au cyanotype à Villèle.
Enfin, je remercie l’Iconothèque historique de l’Océan Indien et la famille Legros pour la mise à disposition de leur fonds privé.
Johanna Grégoire
© Crédits photos, Julien Azam, 2021